Acquisitions 2016


 

Katerina Jebb
Balthus Tomb, 2011

Katerina Jebb, Balthus Tomb, 2011

 

Artiste complètement autodidacte, Katerina Jebb s'approprie le médium photographique à l'âge de 26 ans. Elle l'appréhende de manière expérimentale et construit un travail en  partie fondé sur le photomontage. A la suite d'un accident de voiture qui la prive un temps de l'usage de ses bras, elle entreprend de déléguer le travail de la prise de vue à des machines, photocopieurs dans les premiers temps, puis scanners et imprimantes, des plus simples aux plus sophistiqués. Aujourd'hui en pleine possession de ses moyens, elle continue d'utiliser ces procédés qui confèrent à son œuvre une esthétique étrange et déroutante, qu'elle développe aussi depuis quelques années par le biais de films et de performances vidéo.
Ses collaboration avec le monde de la mode constituent une part importante de son travail. Elle a notamment travaillé pour la maison Christian Lacroix, et elle mène une relation suivie avec la marque japonaise Comme des Garçons. De même, ses interventions dans les musées étaient jusque-ici limitées aux institutions liées à la mode, comme le Palais Galliéra ou le musée des Arts décoratifs à Paris. Pourtant, elle développe une recherche plus personnelle la conduisant, depuis quelques années, dans des ateliers ou des archives d'artistes, et qui mérite l'attention d'un musée des beaux-arts et d'art contemporain.
La tombe de Balthus a ainsi été réalisée au cours d'un inventaire photographique prenant pour sujet l'atelier du peintre Balthus, dans sa résidence suisse.
Cet inventaire en images, réalisé sur plusieurs années, marque un temps fort dans le processus artistique de la photographe, qui cherche à ce dégager de la forme pour atteindre une certaine abstraction dans le détail d'une peinture inachevée ou dans les résidus de pigments répandus, déclinant une nouvelle manière de percer la matière. L'hyperréalisme du rendu obtenu par la numérisation créé une présence troublante des objets, qui convoque le souvenir des ready-made de Marcel Duchamp. Tous sont liés à l'intimité de l'artiste – pinceaux, tubes de peintre, spatules, flacons se détachant sur un fond souvent gris, en tous cas toujours uni – et sont imprimés de la main de Balthus. Empreintes, traces d'ADN sur les derniers mégots écrasés dans le cendrier de toujours, le fantôme Balthus émerge ainsi de ces images jusque dans la numérisation de sa tombe, point d'orgue de la série. Retour à l'éternité, fusion du corps avec l'élément naturel dont la vigueur végétale dévore tout. Seul signal d'une présence humaine, la stèle funéraire, marqué du sceau « BALTHUS ». L'heureux hasard d'une pomme tombée là, entamant déjà sa décomposition, vient parfaire le tableau et le mener du côté des vanités.

Jean-François Bauret (1932-2014)
Tirage argentique de la série Isabelle (1986)

Jean-François Bauret (1932-2014), Isabelle, 1986 © J.F Bauret

Dès les années 1950, Jean-François Bauret se consacre à la photographie et trouve comme maître à pensée Richard Avedon, qui l'influencera dans son goût particulier pour le portrait. Il réalise de nombreuses campagnes publicitaires, certaines ayant marqué les esprits, ainsi que des portraits devenus célèbres, comme celui de Serge Gainsbourg.
Le photographe laissait toujours ses modèles libres d’exprimer leur personnalité, affirmant que «Les gens que je photographie ne doivent pas rester passifs, je fais appel à leur créativité pour qu’ils soient les co-auteurs de mes images. C’est une partie de moi-même que j’explore à travers eux, en leur demandant d’exprimer ce que je suis incapable d’exprimer moi-même ». Cette posture, en forme de crédo photographique, s'inscrit  clairement dans la problématique du rapport entre l'artiste et son modèle, que Jean-François Bauret a exploré toute sa vie durant.
Il comptait parmi les habitués des Rencontres d’Arles, y présentant deux expositions individuelles en 1977 et 1992 – la dernière se tenant au musée Réattu – et animant de nombreux stages entre 1977 et 1989.
Habitué d’Arles mais absent des collections du musée, son épouse, Claude Bauret-Allard, a souhaité combler cette lacune à la mort de l'artiste en faisant don à la ville d’Arles d’une œuvre de grand format de la série Isabelle. Cette œuvre a été présentée, avec d’autres photographies de l’artiste prêtées pour l’occasion, au début de l'année 2016 au musée à l’occasion de l’exposition Imago, consacrée au portrait photographique.
La série Isabelle, conçue comme une longue partition de mouvements fixés devant un écran dépouillé de tout ornement – mise en scène habituelle chez Bauret –, capte l'énergie qui se dégage du corps de la femme, une ancienne professeure de yoga. Il s'agit là d'une véritable performance dans le sens qui lui est donné dans l'art contemporain, et non d'une danse ou d'une représentation théâtrale : on ne peut en effet parler ni de chorégraphie ni de scénario, les mouvements n'étant pas prévus à l'avance et encore moins dictés par le photographe. Étalées sur plus d'une année, les séances de prises de vues suivent la libération progressive du modèle, qui explore tout le potentiel de sa gestuelle et toute l'élasticité de son corps dans des poses qui s'affranchissent des canons des beaux-arts. Mises en valeur par un sobre travail de la lumière, ces poses soulignent tour à tour le sillon anguleux de l'épine dorsale, l'enchevêtrement des membres et la géométrie intime de ce corps sculpté par le yoga, qui tend parfois vers l'abstraction.

Germaine Pratsevall
Une donation exceptionnelle

Germaine Pratsevall, Sans titre, 1990

 

Germaine Pratsevall est une artiste rare. Son métier d’enseignante l’a largement tenue à l’écart du circuit des galeries et institutions muséographiques à l’exception de quelques acteurs qui ont réussi à la convaincre d’exposer dans leurs locaux ou à faire entrer une rare pièce dans leurs collections. Montrer son œuvre demande beaucoup de séduction. Quand on la rencontre, on est face à une créatrice pure, pour qui peindre est une nécessité vitale. Depuis 2004, son état de santé ne lui permet plus de travailler et la frustration est grande pour celle qui dit que depuis 1979, elle n’a fait « qu’une seule peinture ». Son œuvre est bien à considérer comme un tout inséparable. Elle dit : « je voudrais les voir toutes ensemble, mais c’est impossible, elles se vengent ».
Germaine Pratsevall est une femme de mémoire, une fidèle en amitié artistique, aussi lorsque s’est posée la question du devenir de son œuvre, c’est naturellement qu’elle s’est tournée vers le musée Réattu qui en 1986 lui a organisé sa première exposition institutionnelle. A l’occasion de cette exposition, l’artiste avait fait don au musée d’une des œuvres, un grand format (124 x 42 cm) caractéristique de son travail, le papier chiffon perforé et peint.
L'artiste a fait don au musée de près de 300 peintures, créées entre 1979 et 2004 (ce qui couvre toute sa période de travail de peintre) mais également un fond de gravures (près de 130 pièces), technique par laquelle elle s’exprime de 1967 à 1978. Si aujourd’hui, elle écarte totalement cette œuvre gravée, qu’elle ne souhaite pas voir exposée, elle comprend la mission du musée de documenter l’ensemble de son travail et accepte qu’il soit mis à la disposition des chercheurs.Artiste extrêmement rigoureuse, on sait qu’elle réalisé plus de 700 peintures. Comme indiqué plus haut seuls quelques rares privilégiés (institutionnels ou collectionneurs privés) on la chance de posséder l’une de ses peintures. La donation proposée aujourd’hui est donc bien une opportunité exceptionnelle pour le musée Réattu.
Germaine Pratsevall est un peintre de la couleur et surtout de la lumière. Son support de création unique est le papier chiffon, qu’elle perfore à l’aiguille pour permettre à l’air et à l’espace de pénétrer. Elle trempe ensuite la feuille dans un bac rempli de peinture, complicité avec le geste du graveur, qui passe sa plaque dans le bain d’acide, ou du photographe qui révèle son image dans le bac de révélateur. Ce geste premier est essentiel, car la couleur n’est pas posée sur le papier, elle le pénètre. On ne peut que penser à la phrase d’Yves Klein, « la couleur habite l’espace ». La feuille est ensuite mise à sécher et reprise au pinceau. La seule limite est d’ordre physique, à plusieurs reprises, l’artiste parle de cette peinture infinie qu’elle a toujours rêvé de faire en trempant un rouleau de papier (qu’elle conserve encore) dans une piscine remplie de peinture. L’eau est élément essentiel, sans eau pas de peinture…
Le travail exclusif sur papier vient de la formation de graveur de Germaine Pratsevall, mais on ne peut s’empêcher de voir en elle un peintre classique tant le format de ses œuvres renvoie aux lés de toiles. Les marges de ces feuilles, quasiment exclusivement déchirées au couteau, donnent le « La » de l’œuvre, elles ne sont ni bordures ni encadrement. L’inspiration première est le paysage, celui des prés de montagne où elle veut pénétrer, où elle relève l’invasion de la lumière. Le support disparaît au profit de la matière picturale.